Elite congolaise : Pie Tshibanda, la plume à la défense des faibles

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Au cours de l’émission de réflexion « JMK rencontre » axée sur l’élite congolaise, Jean Marie Kassamba, Directeur Général de télé 50 et présentateur dudit programme, a rencontré Pie Tshibanda, homme de culture, adulé en Belgique, respecté, décoré avec deux médailles dont celle du citoyen d’honneur du brabant wallon et celle d’officier de l’ordre de Léopold.

Pie Tshibanda, psychologue, sexologue, écrivain, auteur d’une dizaine de livres à l’instar « d’un fou noir aux pays des blancs », « la valise de Mobutu », « Je ne suis pas sorcier », « Cela peut vous arriver aussi », « Avant qu’il soit trop tard », « Train de malheur »,etc ; fait partie des élites congolaises, un fabuleux conteur originaire de la RDC, vivant en Europe précisément en Belgique.

Un entretien de haute gamme avec un homme qui analyse les choses banales de la vie avec beaucoup plus de pertinence, qui n’a aucun complexe d’accents.

Pie Tshibanda, vous inspirez respect ailleurs, mais pas très vulgarisés ici au Congo, qui êtes- vous finalement ?

« Je me définis comme un père de famille d’abord, père de 6 enfants, grand père de 6 petits enfants. J’ai travaillé au Congo d’abord dans l’enseignement pendant 10 ans, ensuite j’ai travaillé à la Gécamines pendant 7 ans et du jour au lendemain on m’a demandé de partir et je suis parti. En Europe ça n’a pas été facile de se faire une toute petite place.

J’ai continué à écrire des livres que j’écrivais déjà ici, j’ai monté un spectacle qui s’appelle un fou noir aux pays des blancs avec lequel j’ai fait le tour du monde. Mais pendant que je suis en Europe je n’ai pas oublié mon pays le Congo, la preuve, j’ai construit deux écoles au Kasaï. »

Qu’est-ce qui vous a prédestiné à faire l’enseignement, l’écriture, le Théâtre ?

« Je suis arrivé à faire ce que je fais parce que dans ma vie j’ai beaucoup souffert, je suis un de ces enseignants qui à l’époque pouvais faire 8, 9 mois sans être payé, parce qu’on était loin à Lubumbashi, au Kasaï, il faut qu’on soit mécanisé à Kinshasa.  Et pendant que vous trainez là sans salaire, vous voyez la souffrance.

Voilà ce qui m’a amené à l’écriture, je vois des choses tristes, ça me fâche, je me révolte mais je ne peux pas prendre une arme, et mon arme à moi c’est la plume et je prends la plume, je défends les faibles. Et quand le faible lit, il se sent venger. En ce moment je deviens la voix des sans voix.

Un écrivain c’est quelqu’un qui est sensible, et la sensibilité appelle l’empathie. Je verrai quelqu’un souffrir, et je souffre avec la personne, ça me touche ; je verrai quelqu’un qui est victime d’une injustice, ça me touche, ça me perturbe tellement que pour avoir mon équilibre, je prends mon stylo je crache sur la feuille »

Pensez-vous que cette société congolaise manque de sincérité ?

« Nous les congolais avions notre culture, les européens sont venus avec leur paradigme à eux, ils nous les ont imposés et puis nous avons pris l’indépendance mais nous avons gardé le paradigme des européens sans les avoir maitriser. Ça c’est notre problème… Nous ne pouvons pas avancer si nous gardons une solidarité africaine même jusque dans le mal avec des paradigmes d’aujourd’hui »

Élite congolaise, c’est comme si vous avez démissionné et disparu?

« Quand je vous dis que j’ai construit deux écoles, si quelqu’un me dit Pie Tshibanda tu as démissionné, je n’ai pas démissionné j’ai fait ma part. En quoi est ce que je participe à l’histoire avec grand H ? allez sur internet cherchez Pie Tshibanda, lettre au président Kabila en 2006, je lui ai écrit une lettre ; cherchez sur internet, lettre au président Felix Tshisekedi, je lui ai écrit. C’est toujours des lettres ouvertes que je fais. »

Comment écrivez- vous vos textes ?

« Je puise dans la société traditionnelle, vous avez entendu des proverbes dans mes textes et des contes. Même la chanson que j’entonne pour faire chanter les belges, je l’ai appris de ma mère. Donc nous devons avoir confiance à nos valeurs. »

Ici au Congo êtes-vous décorés ?

« Ici je ne suis rien. Et à chaque fois qu’on me donne ma médaille en Europe, on me demande de faire un discours, mais souvent j’ai des larmes aux yeux mais j’arrive à blaguer aussi… Et puis je dis aussi, je suis triste, la médaille il a fallu que je quitte mon pays pour l’avoir en Europe ?»

Pie Tshibanda pourquoi vous n’avez pas fait des plaidoyers pour les restes de Lumumba ? (Question téléspectateur)

« Je suis en train de me battre. J’ai fait un spectacle qui s’appelle la valise de Mobutu et dans la valise de Mobutu, je plaide pour les dents de Lumumba.

A ce moment je suis sur un autre dossier de monsieur Lusinga (un chef Tabua qu’on a tranché la tête, et la tête est au musée des sciences naturelles) »

Avez-vous pensez d’organiser un de vos spectacles à Kinshasa ?

« En principe, j’aimerais bien organiser mes spectacles à Kinshasa aussi, lorsqu’on va rouvrir tout si vous m’appelez je reviens. Je peux revenir même pour un mois, faire des spectacles ; je le fais partout pourquoi ne pas le faire chez moi. »

Ça vous dirait de donner des conseils à Noel Tshiani, qui a dit que pour être dirigeant au Congo il faut l’être de père et de mère. (Question téléspectateur)

« Dans ce chapitre-là, je suis en train de me poser la question, qui a le droit de se dire, moi je suis congolais, moi je suis de telle origine etc… Mon cordon ombilical a été planté à Kolwezi mais si un jour quelqu’un vient me dire Tshibanda tu n’es pas d’ici, fais tes valises, ça me dépasse. Je peux lui dire mon cordon ombilical est là.

Une autre réponse c’est de dire, pour moi la congolité c’est l’engagement que vous avez vis-à-vis de votre pays, l’amour du pays, le sentiment d’appartenance à une nation et tout ce que vous faites pour le pays. »

Ce type de débat, est-ce un recul ou pas ?

« C’est un recul, je pense qu’on rentre en arrière, il faut avancer. »

Si Tshisekedi vous nomme ministre de la culture, quelles seraient vos priorités ? (Question téléspectateur)

« Mes priorités seraient d’aller voir dans nos valeurs traditionnelles ce qu’il y’avait comme valeur pour les ressortir mais je vais aussi voir dans notre personnalité ce qu’il y’avait comme freins, ce qui ne s’adapte pas au monde d’aujourd’hui. »

Pie Tshibanda va-t-il retourner en Europe ou il est revenu en RDC définitivement ? (Question téléspectateur)

« Pie Tshibanda n’est pas encore revenu définitivement. »

Quelle magie avez-vous pour faire chanter les blancs en Tshiluba avec autant de spontanéité ?

« Le blanc c’est quelqu’un qui prend son intelligence mais qui prend aussi celle de l’Africain. Il sait que ce qu’il connait est plus que ce que l’africain connait, mais il veut ajouter pour être encore plus riche. Tandis que nous, on a tendance a rejeté nos valeurs. »

Pourquoi lors de vos prestations, vous ne portez que des boubous, ont-ils une signification ?

« Le boubou je portes pour rappeler l’Afrique, pour rappeler d’où je viens. Et de nouveau je vous dis, les européens aiment ça. Et y’a de ceux-là qui me demandent mon costume à la fin de ma prestation. »

Quel est ton souhait pour les congolais ?

« Je souhaite l’humilité. Quand tu es humble, tu vas considérer les autres comme les personnes humaines mais si tu es trop haut, tu vas voir les autres d’en haut et ils sont trop bas. Nous n’avancerons pas comme ça. »

Qu’est-ce qui vous reste à faire aujourd’hui ? vous avez été enseignant, vous êtes écrivain, psychologue, …

« Ce qui me reste c’est de préparer la relève. Un bon chef  c’est celui à qui le pays survit. Si tu es dans un poste quelconque et qu’après ton départ ça tombe, c’est de ta faute. »

C’est quoi le style Pie Tshibanda ?

« Le style Pie c’est la sincérité. Ne pas chercher à impressionner, être ce qu’on est, être vrai. »

Quel conseil à donner à nos dirigeants aujourd’hui ?

« Qu’ils nous fassent de ce pays, un pays de droit ; qu’ils fassent une juste répartition des biens. »

« Ce que je vais dire aux congolais, il ne faut pas que les gens pensent qu’il suffit de changer de pouvoir pour que comme par une baguette magique les choses s’arrangent. Non ! Et le nouveau président n’a pas la baguette magique. Mais pourquoi les autres avancent ? parce qu’en Belgique par exemple, chacun paie sa taxe et cet argent est utilisé pour les besoins du pays. C’est comme ça que le pays avance. »

Une rencontre fructueuse en leçon morale et civique, aussi bénéfique à la conscientisation de l’élite congolaise. C’est avec ces mots que la rencontre de Jean-Marie Kassamba et Pie Tshibanda toucha à sa fin.

Rufus Lukanga(@LukangaRufus)