« La prise en compte de la conception et de la réception du pouvoir en République Démocratique du Congo afin de bâtir une nation solide en adéquation avec sa propre identité : approche socio-anthropologique ».
Telle est la thématique de la tribune animée par Daniel Djedi Djongambolo Ohonge (Docteur en droit des affaires, Professeur des universités, Chercheur associé au centre de droit des affaires et du commerce international de la faculté de droit de l’Université de Montréal et avocat d’affaires international).
Une opinion abordée sous plusieurs points à savoir :
1. La prise en compte de l’approche socio-anthropologique dans la réflexion intellectuelle en R.D.Congo permettra de jeter les bases solides de l’élévation de la nation vers un développement durable et responsable tout en atteignant une gouvernance parfaitement équilibrée et dénuée de toute frustration. En décrivant et en comprenant les réalités propres à la société congolaise tant dans son mode de fonctionnement économique que dans sa sociologie politique ou du pouvoir de ses sociétés dites « traditionnelles », il y a lieu de tirer des enseignements pertinents capables de bâtir une nation moderne en adéquation avec sa propre identité.
2. Dans la plupart des sociétés congolaises, le pouvoir fait l’objet d’une appropriation collective et engendre une responsabilité de l’ensemble de la communauté de celui ou celle à qui l’exercice est confié par la nation. Par exemple, lorsqu’un individu accède à un poste officiel comme celui de ministre, on assiste à un réjouissement collectif des membres de sa communauté de base. Celle-ci s’identifiant à l’heureux promu vient lui faire savoir qu’il est leur digne représentant et qu’elle compte sur ses largesses et facilités pour en tirer avantages et privilèges.
Cette appropriation collective du pouvoir se fait au niveau de la famille restreinte et du clan en passant par la famille élargie. Évidemment, si l’on observe ce fait avec les lunettes de l’occident (France, Belgique, États-Unis, etc.) on pourrait fortement le condamner, car la conception et la réception du pouvoir y sont totalement opposées.
3. Le problème est que nous voulons continuellement et avant tout, ressembler aux autres en condamnant notre propre réalité que nous vivons pourtant au quotidien. Cette contradiction entre la réalité vécue et la théorie importée constitue une force centrifuge agissant sur le pays. Ce qui ne lui permet pas d’atteindre la trajectoire tracée par les pères de l’indépendance en ce qui concerne son développement, sa prospérité et sa sécurité pour le bien-être collectif. Au lieu de condamner sa propre réalité vécue au regard des conceptions extérieures, ce qui constitue une sorte d’hypocrite intellectuelle, il est préférable de se l’approprier pour en faire une base solide de la gouvernance originale et assumée. Ce que j’appelle la théorie de l’appropriation identitaire. Mais, cela n’empêche pas de perfectionner sa propre base en s’appuyant sur les meilleures pratiques des autres.
Ce qui compte, c’est de considérer principalement sa propre identité pour avancer sereinement.
4. À l’échelle un peu plus élevée, c’est-à-dire celle où l’individu accède à la magistrature suprême du pays, on observe le même phénomène d’appropriation collective du pouvoir par son clan ou sa communauté toute entière. C’est aussi la perception que se font les autres communautés nationales de celle au sein de laquelle est issu celui qui arrive au pouvoir. Donc, d’une part, le pouvoir fait l’objet d’une appropriation collective et d’autre part, les autres communautés rendent pour responsable l’ensemble du clan de la gouvernance de celui qui exerce ou a exercé le pouvoir. Cette réalité conduit à une gestion prudente, resserrée et centrée du pouvoir autour de sa base. Il est donc malvenu voire malveillant de qualifier cela de tribalisme, car c’est notre propre réalité dont il faut tirer le meilleur afin d’atteindre la trajectoire fixée par les pères de l’indépendance. C’est ce qui compte. Aussi longtemps que nous refuserons de regarder notre réalité en face et d’en faire une force plutôt qu’une faiblesse en l’analysant du point de vue des autres, il sera difficile d’atteindre notre élévation comme nation.
5. Dans l’opinion nationale, lorsqu’on évoque le souvenir d’un ancien chef d’État ou lorsqu’on parle de celui qui dirige le pays, on se réfère systématiquement à sa communauté d’origine. Par exemple, quand on parle de Joseph Kasavubu, le premier président du Congo, les autres communautés nationales l’identifient naturellement aux Bakongo et ont tendance à attribuer sa gestion du pays à l’ensemble de sa communauté. De même, lorsqu’on évoque Joseph Désiré Mobutu, on voit les Bangala avec une attribution de sa gestion à l’ensemble de cette communauté. Pour les Kabila, on s’est tourné tout naturellement vers les swahiliphones, plus spécifiquement les katangais. C’est notre réalité qui consiste à renvoyer la gestion ou l’image du pouvoir à l’ensemble de la communauté de celui qui en a ou avait l’exercice. Cela expliquerait le fait que l’on s’appuie d’abord sur sa communauté de base pour essayer de consolider et d’exercer le pouvoir.
6. Aujourd’hui, après l’accession de Monsieur Félix-Antoine Tshisekedi Tshilombo à la magistrature suprême, on n’hésite pas à parler des kasaïens ou du pouvoir des kasaïens, plus généralement du grand Kasaï. Dès lors, il ne faut pas s’étonner de voir le soutien massif de cette grande communauté envers le chef de l’État, qui représente leur image sur le plan national. Cela a été également observé lors des pouvoirs précédents. C’est notre réalité qu’il ne faut pas diaboliser en essayant de la comparer aux autres. Au contraire, il sied de la comprendre, de l’assumer pour mieux gérer le pays et éviter toute frustration de la part des autres communautés nationales.
7. Une fois que ce fait est compris et assumé, il n’est pas choquant de constater que les différents pouvoirs du pays ont eu prioritairement recours aux membres de leurs communautés respectives pour les aider dans la gestion du pays, car ils ont une responsabilité collective du point de vue socio-anthropologique vis-à-vis des autres. Il y a le sentiment que si on échoue, c’est toute la communauté qui sera pointée du doigt. C’est aussi le ressenti qui se dégage de l’observation des autres communautés nationales sur le pouvoir exercé.
8. Le problème qui se pose à ce niveau est celui de trouver les meilleures compétences possibles de sa communauté qui vont accompagner le pouvoir dans l’atteinte de la trajectoire tracée par les pères de l’indépendance. Aucun congolais ne pourra se plaindre, si un pouvoir en particulier, entouré majoritairement des gens compétents et consciencieux issus de sa communauté a permis au Congo d’atteindre le progrès social ou son plein développement pour le bien-être national.
9. L’enjeu intellectuel aujourd’hui est d’approfondir la réflexion sur la réalité socioanthropologique de la conception et de la perception du pouvoir en République démocratique du Congo afin de jeter les bases des réformes futures de nos institutions, qui doivent mieux refléter notre identité nationale. Par exemple, on pourrait opter pour une gouvernance rotative en fonction de nos quatre zones d’influence (les bakongo, les bangala, les baswahili et le Grand Kasaï). Cela ne constituerait en aucun cas le tribalisme si l’on considère le point de vue strictement congolais ou de la réalité de l’identité congolaise.
10. Le Congo est riche dans sa diversité et celle-ci doit constituer sa force. Or, jusqu’à maintenant cette diversité est plutôt sa faiblesse, car on n’arrive pas à regarder notre réalité en face et l’assumer. Il est dangereux sur le plan intellectuel de critiquer une réalité socio-anthropologique à partir d’une théorie ou d’un modèle qui ne lui correspond pas.
11. Il est de notre responsabilité en tant qu’intellectuel de théoriser nos propres réalités vécues pour adapter au mieux notre gouvernance afin d’atteindre la trajectoire tracée par les pères de l’indépendance. Cela permettra également d’exister en tant que nation dans un monde globalisé.